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Solennité de l’Epiphanie du Seigneur – Homélie de Jean-Paul II

Samedi 14 février 2009

HOMÉLIE DU PAPE JEAN PAUL II

Solennité de l’Epiphanie du Seigneur

Jeudi 6 janvier 2000, 
 

1. « Debout! Resplendis! car voici ta lumière, et sur toi se lève la gloire de Yahvé » (Is 60, 1).

Le prophète Isaïe tourne son regard vers l’avenir. Ce n’est pas tellement l’avenir profane qu’il contemple. Illuminé par l’Esprit, il pousse son regard vers la plénitude des temps, vers l’accomplissement du dessein de Dieu dans le temps messianique.

L’oracle que le prophète prononce concerne la Ville sainte, qu’il voit resplendissante de lumière:  « Tandis que les ténèbres s’étendent sur la terre et l’obscurité  sur  les  peuples,  sur toi se lève Yahvé, et sa gloire sur toi paraît » (Is 60, 2). C’est précisément ce qui s’est produit avec l’incarnation du Verbe de Dieu. Avec lui, « la lumière véritable qui éclaire tout homme, venait dans le monde » (Jn 1, 9). Désormais, le destin de chacun se décide selon l’acceptation ou  le  refus  de  cette  lumière:   c’est en elle, en effet, que réside la vie des hommes (cf. Jn 1, 4).

2. La lumière apparue à Noël étend aujourd’hui l’amplitude de son rayonnement:  c’est la lumière de l’épiphanie de Dieu. Désormais, ce ne sont plus seulement les pasteurs de Bethléem qui la voient et qui la suivent; ce sont également les Rois Mages qui, partis de l’Orient, sont parvenus à Jérusalem pour adorer le Roi qui est né (cf. Mt 2, 1-2). Avec les Rois Mages, ce sont les nations qui commencent leur chemin vers la Lumière divine.

Aujourd’hui, l’Eglise célèbre cette Epiphanie salvifique, en écoutant sa description contenue dans l’Evangile de Matthieu. Le célèbre récit des Rois Mages, venus de l’Orient à la recherche de Celui qui devait naître, a depuis toujours inspiré la piété populaire, devenant un élément traditionnel de la crèche.

L’Epiphanie est un événement et, dans le même temps, un symbole. L’événement est décrit de manière détaillée par l’Evangéliste. En revanche, la signification symbolique a été découverte graduellement, à mesure que l’événement devenait objet de méditation et de célébration liturgique de la part de l’Eglise.

3. Après deux mille ans, partout où l’on célèbre l’Epiphanie, la Communauté ecclésiale puise à cette précieuse tradition liturgique et spirituelle des éléments toujours nouveaux de réflexion.
Ici, à Rome, selon une habitude à laquelle j’ai voulu rester fidèle dès le début de mon pontificat, nous célébrons ce mystère en consacrant plusieurs nouveaux évêques. Il s’agit d’une tradition qui possède une éloquence théologique et pastorale intrinsèque, et nous l’introduisons aujourd’hui avec joie dans le troisième millénaire.

Très chers frères, qui serez consacrés d’ici peu, vous provenez de divers pays et vous représentez l’universalité de l’Eglise qui adore le Verbe incarné pour notre salut. C’est ainsi que s’accomplissent les paroles du Psaume responsorial:  Seigneur, tous les peuples de la terre t’adoreront.

Notre assemblée liturgique exprime de façon particulière ce caractère catholique de l’Eglise, également grâce à vous, chers évêques élus. En effet, autour de vous se rassemblent en esprit les fidèles des diverses parties du monde, à qui vous avez été envoyés en tant que successeurs des Apôtres.

4. Certains d’entre vous accompliront la mission de Nonce apostolique:  toi, Mgr Józef Wesolowski, en Bolivie; toi, Mgr Giacomo Guido Ottonello, au Panama; toi, Mgr George Panikulam, au Honduras; et toi, Mgr Alberto Bottari de Castello, en Gambie, en Guinée, au Liberia et en Sierre Leone. Vous serez dans ces pays les Représentants pontificaux, au service de l’Eglise locale et du progrès humain authentique de ces peuples respectifs.

Toi, Mgr Ivo Baldi, tu guideras le diocèse de Huaraz, au Pérou. Toi, Mgr Gabriel Mbilingi, tu as été choisi comme Evêque coadjuteur de Lwena, en Angola;  et  toi,  Mgr  David  Laurin Ricken, comme Evêque coadjuteur de Cheyenne, aux Etats-Unis d’Amérique.

L’Ordination épiscopale te confirme et te renforce, Mgr Anton Cosa, dans le service d’Administrateur apostolique de la Moldavie et toi, Mgr Giuseppe Pasotto, en tant qu’Administrateur apostolique du Caucase.

Toi, Mgr András Veres, tu seras Evêque auxiliaire de l’Archevêque d’Eger, en Hongrie; et toi, Mgr Péter Erdö, Auxiliaire du Pasteur de Székesfehérvár.

Quant à toi, Mgr Franco Croci, tu poursuivras ta tâche de Secrétaire de la Préfecture des Affaires économiques du Saint-Siège.

Rappelez vous pour toujours de la grâce de ce jour de l’Epiphanie! Que la lumière du Christ brille toujours dans vos coeurs et dans votre ministère pastoral.

5. La liturgie d’aujourd’hui nous exhorte à la joie. Et il y a un motif:  la lumière, qui brilla avec l’étoile de Noël pour conduire jusqu’à Bethléem les Rois Mages d’Orient, continue à orienter sur le même chemin les peuples et les nations du monde entier.

Nous rendons grâce pour les hommes et les femmes qui ont parcouru ce chemin de foi au cours des deux mille ans qui se sont écoulés. Nous louons le Christ, Lumen gentium, qui les a guidés et qui continue à guider les peuples en marche dans l’histoire!

A Lui, Seigneur du temps, Dieu de Dieu, Lumière de la Lumière, nous adressons notre supplique avec confiance. Que son étoile, l’étoile de l’Epiphanie, ne cesse pas de briller dans nos coeurs, en indiquant au cours du troisième millénaire aux hommes et aux peuples la voie de la vérité, de l’amour et de la paix. Amen

 

Petite citation à méditer [1]

Jeudi 15 janvier 2009

« La prière n’est pas une occupation parmi bien d’autres, elle est le centre de notre vie en Jésus-Christ. Elle nous sort de nous même et dirige notre attention vers le Seigneur. La prière emplit l’Esprit de vérité et le coeur d’espérance. »

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JP II
 

Femmes pour L’aimer [14]

Mercredi 10 septembre 2008

MESSAGE DU PAPE JEAN-PAUL II
À SŒUR JUANA ELIZONDO
POUR LE IV CENTENAIRE DE LA NAISSANCE
DE LA FONDATRICE DES FILLES DE LA CHARITÉ DE
SAINT-VINCENT-DE-PAUL, SAINTE LOUISE DE MARILLAC

À Sœur JUANA ELIZONDO
Supérieure générale
des Filles de la Charité
de Saint-Vincent-de-Paul

1. Le IV centenaire de la naissance de sainte Louise de Marillac donne à toute l’Église, et à la Compagnie des Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul en particulier, l’occasion de faire mémoire de cette grande figure du XVII siècle français, afin de reconnaître leur dette à son égard et de puiser dans ses enseignements la matière d’une réflexion profonde et substantielle.

À une époque de déchirements politiques qui atteignirent même sa vie familiale, Louise sut venir au secours des pauvres les plus touchés par la misère. À l’exemple de son directeur, Monsieur Vincent, elle voyait en eux ses “maîtres”. Elle ira jusqu’à donner ce conseil à l’une de ses Filles: “Pour l’amour de Dieu, ma chère Sœur, pratiquez une grande douceur envers les pauvres et tout le monde; et essayez de contenter autant de paroles que d’actions; et cela vous sera facile si vous conservez une grande estime de votre prochain; des riches, parce qu’ils sont au-dessus de vous; des pauvres, parce qu’ils sont vos maîtres”. C’est ainsi que mon prédécesseur le Pape Jean XXIII l’a proclamée patronne de toutes les personnes qui se donnent aux œuvres sociales chrétiennes.

À l’époque de leur fondation, les Filles de la Charité étaient ainsi décrites par saint Vincent de Paul: “Elles auront pour monastère la maison des pauvres malades, pour cellule une chambre de louage, pour chapelle l’église de la paroisse, pour cloître les rues de la ville ou une salle d’hôpital, pour clôture l’obéissance, pour grille la crainte de Dieu, pour voile la sainte modestie”. La vie communautaire qu’elles menaient reste un modèle pour les personnes données à Dieu aujourd’hui, et tout chrétien peut aussi s’approprier les phrases, belles et simples, qu’écrivit Louise de Marillac à ses sœurs en mission: “Si l’humilité, la simplicité et la charité qui donne le support, sont bien établies entre vous, votre petite compagnie sera composée d’autant de saintes que vous êtes de personnes. Mais il ne faut pas attendre qu’une autre que nous commence. Commençons la toute première”.

2. En se donnant à Dieu sans retour, elle s’unit de plus en plus étroitement à la volonté de son Maître: “Il nous faut être à Dieu, qui veut que nous ne voulions autre chose que ce qu’il veut”. Dans cette union intime, elle rejoignait le Christ crucifié qu’elle n’avait cessé de mettre sous les yeux de ses sœurs en leur donnant pour devise: “La charité de Jésus crucifié nous presse”. Ainsi pouvait-elle sortir victorieuse des épreuves que la vie lui faisait traverser en s’écriant, dans une admirable formule: “Souffrir et aimer, c’est une même chose”.

Vous avez, en sainte Louise, un exemple à suivre et à proposer. Loin d’avoir connu une vie facile, alors que sa naissance la mettait à l’abri de bien des préoccupations matérielles, elle a surmonté de nombreuses difficultés, à commencer par l’épreuve de la foi. Elle a connu la tristesse du veuvage et a su la transformer en offrande de sa personne à Dieu. En un mot, elle a su passer de l’anxiété à la sainteté, elle a accepté de remettre à Dieu sa vie, de trouver la sérénité et la paix de l’âme en Lui seul. Cette attitude fondamentale de l’existence chrétienne sera tout à la fois votre soutien et le critère de votre fidélité au charisme de celle qui fonda, avec saint Vincent de Paul, la Compagnie des Filles de la Charité.

3. En jetant les bases de la Compagnie, sainte Louise de Marillac donnait naissance à une nouvelle forme de vie dans l’Église, pratiquée aujourd’hui dans les sociétés de vie apostolique qui sont actives dans de nombreux champs de la mission ecclésiale. À l’époque de leur fondation, saint Vincent de Paul écrivait: “Les Filles de la Charité ne sont pas religieuses, mais des filles qui vont et viennent comme des séculiers”. Dans son désir ardent de rejoindre plus facilement les pauvres et de leur apporter un secours efficace, dans sa volonté de se faire toute à tous, sainte Louise eut à cœur de visiter, de développer et de conseiller les “charités” établies dans toute la France, et même au-delà de ses frontières, pour mettre en œuvre la puissance de l’amour et de la miséricorde. Une voie s’ouvrait à un nouvel ordre de choses dans l’Église. Des centaines d’institutions hospitalières ou enseignantes féminines allaient adopter un mode de vie analogue, au service du prochain dans le monde.

Jamais cet essor admirable n’eût été possible sans le soutien d’une prière intense. La vie spirituelle de sainte Louise se caractérise notamment par son accueil constant de l’Esprit Saint. Par une de ces intuitions qui portent en elles-mêmes la marque de leur authenticité, elle conjoint la dévotion au “oui” de l’Annonciation et la dévotion à la fête de la Pentecôte. Comme la Vierge Marie, comblée de grâce par la puissance de l’Esprit et présente aux côtés des Apôtres dès les origines de l’Église, celle a trouvé dans l’action de Dieu la source de sa force; elle a bien senti que la fidélité de la Compagnie aurait dans le “fiat” marial son modèle et son guide. Elle a su faire grandir chez les autres l’esprit de prière dans lequel elle vivait à l’exemple de Marie.

4. Renouvelez aujourd’hui le don de vous-mêmes au Seigneur! Accueillez à nouveau la grâce qu’Il fit à son Église en lui donnant sainte Louise! Puisez dans son action, dans ses écrits, les nourritures nécessaires à votre route! En cette année où, avec l’encyclique “Centesimus Annus”, j’ai appelé le peuple chrétien à porter une attention plus grande à l’enseignement social de l’Église, suivez le chemin qu’elle vous trace pour donner aux pauvres l’amour préférentiel qu’ils attendent de vous! Le service des pauvres demeure l’axe majeur de la pensée et de l’action de Louise de Marillac. Continuez à vous dépenser pour eux sans compter! Je le redis en reprenant ses propres paroles: “Continuez, je vous prie, à servir nos chers maîtres avec grande douceur, respect et cordialité, regardant toujours Dieu en eux!”. Dans la persévérance de votre fondatrice, vous avez le meilleur des exemples; dans son intercession, le plus sûr des soutiens.

Votre Compagnie peut être légitimement fière d’avoir pour protectrice une telle figure qui, en chaque pauvre, reconnaissait un membre souffrant du Christ, le Fils de Dieu qui nous a aimés et s’est livré pour nous. Ainsi, en se donnant tout entière au service des pauvres, en vivant “l’état de charité”, elle ne voulait pas s’occuper d’une forme particulière de pauvreté à l’exclusion des autres. Au contraire, son champ d’action demeurait très ouvert et c’est cela qu’elle vous invite à imiter. Par elle, le Seigneur appelle aujourd’hui encore beaucoup de jeunes femmes à tout quitter pour se rendre totalement disponibles à ces “petits” qui sont ses frères. Pour que leur cœur et leur esprit restent ouverts à toute détresse, la diversité des activités de la Compagnie doit être conservée et même développée. Avec les centres de soins ou les hôpitaux, les crèches ou les dispensaires, les écoles ou les foyers, les maisons de retraite ou les services d’entraide, sans compter bien d’autres initiatives en fonction des formes nouvelles de la pauvreté que connaît le monde actuel, vous devez rester celles par qui le Seigneur “relève le pauvre de sa misère”, celles par qui “il fait largesse, il donne au pauvre”.

5. En gardant l’élan de sainte Louise, vous rejoindrez sa spiritualité de l’action missionnaire. En effet, l’Évangile se répandra à mesure que les hommes, rétablis dans leur dignité, pourront reconnaître dans leur Créateur la source de leur vie. Il faut que l’on puisse entendre à nouveau résonner cette parole du Christ: “Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres”. En servant les pauvres, vous “quittez Dieu pour Dieu”, comme aurait dit saint Vincent de Paul, et vous le faites de multiples manières. Vous recevez et vous vivez la parole du Christ à ses Apôtres: “Les pauvres, vous les aurez toujours avec vous”. Vous recevez du Christ ces pauvres que la vie a blessés et vous avez mission de les lui amener. La Bonne Nouvelle est effectivement annoncée aux pauvres que vous secourez, dès lors qu’ils reconnaissent en votre action ce que le Christ aurait fait pour eux et qu’ils reçoivent en vérité la révélation de Dieu, lui qui nous a aimés le premier en nous donnant son Fils.

6. Cette action, évangélisatrice et caritative, vous place au cœur de l’Église d’où vous rayonnez comme un foyer brûlant d’amour. À la suite de sainte Louise de Marillac, vous collaborez étroitement avec les communautés chrétiennes des lieux où vous vivez. Le sens de l’ÉgIise qu’elle voulut transmettre à ses Filles vous aide à mener à bien vos tâches apostoliques dans l’esprit même qui l’inspirait. Vous remplissez ainsi votre rôle proprement féminin dans le Corps mystique du Christ, dans l’Église virginale et sponsale, en veillant sur la naissance, sur la vie et la mort de ses membres. L’amour des pauvres vous fait œuvrer pour l’avènement d’une société plus juste, sur tous les continents, afin que s’accomplissent les paroles du Psalmiste: “Les pauvres mangeront et seront rassasiés; ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent”.

7. Dans la joie de ce quatrième centenaire, j’invoque l’Esprit de force et de sainteté sur les Filles de la Charité et sur leurs Supérieures; je demande au Christ, médecin des corps et des âmes, de venir au secours des malades, des affligés, des pauvres que l’on oublie. Comme l’avait fait sa fondatrice, je confie la Compagnie à l’intercession de la Vierge Marie et j’accorde ma Bénédiction Apostolique à ses membres et à toutes les personnes qui, de par le monde, se sont mises à l’école de sainte Louise de Marillac.

Du Vatican, le 3 juillet 1991.
IOANNES PAULUS PP. II

Homélie de JP II, 150ème anniversaire de la promulgation du dogne de l’immaculée conception.

Vendredi 15 août 2008

PÈLERINAGE APOSTOLIQUE DU PAPE JEAN-PAUL II À LOURDES À L’OCCASION DU 150ème ANNIVERSAIRE DE LA PROMULGATION DU DOGME DE L’IMMACULÉE CONCEPTION

HOMÉLIE DU PAPE JEAN-PAUL II

 Dimanche 15 août 2004.

1. «Que soy era Immaculada Councepciou». Les paroles que Marie adressa à Bernadette le 25 mars 1858 résonnent avec une intensité toute particulière en cette année au cours de laquelle l’Église célèbre le cent cinquantième anniversaire de la définition solennelle du dogme proclamé par le Bienheureux Pie IX dans la Constitution apostolique Ineffabilis Deus.

J’ai vivement désiré accomplir ce pèlerinage à Lourdes pour rappeler un événement qui continue à rendre gloire à la Trinité une et indivise. La conception immaculée de Marie est le signe de l’amour gratuit du Père, l’expression parfaite de la rédemption accomplie par le Fils, le point de départ d’une vie totalement disponible à l’action de l’Esprit.

2. Sous le regard maternel de la Vierge, je vous salue tous cordialement, chers Frères et Soeurs venus à la grotte de Massabielle pour chanter les louanges de Celle que toutes les générations proclament bienheureuse (cf. Lc 1,48).
Je salue en particulier les pèlerins français et leurs évêques, notamment Monseigneur Jacques Perrier, Évêque de Tarbes et Lourdes, que je remercie pour les aimables paroles qu’il m’a adressées au début de cette célébration.
Je salue Monsieur le Ministre de l’Intérieur, qui représente ici le Gouvernement français, ainsi que les autres personnes qui font partie des Autorités civiles et militaires présentes.
Ma pensée affectueuse rejoint aussi tous les pèlerins venus ici de diverses parties de l’Europe et du monde, et tous ceux qui sont unis spirituellement à nous par la radio et la télévision. Je vous salue avec une particulière affection, chers malades, qui êtes venus dans ce lieu béni pour chercher soulagement et espérance. Que la Vierge sainte vous fasse percevoir sa présence et qu’elle réconforte vos coeurs !

3. «En ces jours-là, Marie se mit en route rapidement vers une ville de la montagne…» (Lc 1, 39). Les paroles du récit évangélique nous font percevoir avec les yeux du coeur la jeune fille de Nazareth en chemin vers la «ville de Judée» où demeurait sa cousine, pour lui offrir ses services. Ce qui nous touche avant tout en Marie, c’est son attention pleine de tendresse envers sa parente âgée. C’est un amour concret qui ne se limite pas à des paroles de compréhension mais qui s’engage personnellement dans une véritable assistance. A sa cousine, la Vierge ne donne pas simplement quelque chose qui lui appartient; elle se donne elle-même, sans rien demander en retour. Elle a parfaitement compris que, plus qu’un privilège, le don reçu de Dieu est un devoir, qui l’engage envers les autres dans la gratuité qui est le propre de l’amour.

4. «Mon âme exalte le Seigneur…» (Lc 1, 46). Lors de sa rencontre avec Élisabeth, les sentiments de Marie jaillissent avec force dans le cantique du Magnificat. Par ses lèvres s’expriment l’attente pleine d’espérance des «pauvres du Seigneur» ainsi que la conscience de l’accomplissement des promesses, parce que Dieu «s’est souvenu de son amour» (cf. Lc 1, 54).
C’est précisément de cette conscience que jaillit la joie de la Vierge Marie, qui transparaît dans l’ensemble du cantique: joie de se savoir «regardée» par Dieu malgré sa «faiblesse» (cf. Lc 1, 48); joie en raison du «service» qu’il lui est possible de rendre, grâce aux «merveilles» auxquelles l’a appelée le Tout-Puissant (cf. Lc 1, 49); joie pour l’avant-goût des béatitudes eschatologiques, réservées aux «humbles» et aux «affamés» (cf. Lc 1, 52-53).
Après le Magnificat vient le silence; rien n’est dit des trois mois de la présence de Marie aux côtés de sa cousine Élisabeth. Ou peut-être il nous est dit la chose la plus importante: le bien ne fait pas de bruit, la force de l’amour s’exprime dans la tranquille discrétion du service quotidien.

5. Par ses paroles et par son silence, la Vierge Marie nous apparaît comme un modèle sur notre chemin. C’est un chemin qui n’est pas aisé: par la faute de ses premiers parents, l’humanité porte en elle la blessure du péché, dont les conséquences continuent encore à se faire sentir chez les rachetés. Mais le mal et la mort n’auront pas le dernier mot ! Marie le confirme par toute son existence, en tant que témoin vivant de la victoire du Christ, notre Pâque.
Les fidèles l’ont compris. C’est pourquoi ils accourent en foule près de la grotte, pour écouter les avertissements maternels de la Vierge, reconnaissant en elle «la femme revêtue de soleil» (Ap 12, 1), la Reine qui resplendit près du trône de Dieu (cf. Psaume responsorial) et intercède en leur faveur.

6. Aujourd’hui, l’Église célèbre la glorieuse Assomption au Ciel de Marie avec son corps et son âme. Les deux dogmes de l’Immaculée Conception et de l’Assomption sont intimement liés. Ils proclament tous deux la gloire du Christ Rédempteur et la sainteté de Marie, dont la destinée humaine est dès à présent parfaitement et définitivement réalisée en Dieu.
«Quand je serai allé vous préparer une place, je reviendrai vous prendre avec moi; et là oj je suis, vous y serez aussi», nous a dit Jésus (Jn 14, 3). Marie est le gage de l’accomplissement de la promesse du Christ. Son Assomption devient pour nous «un signe d’espérance assurée et de consolation» (Lumen gentium, n. 68).

7. Chers Frères et Soeurs ! De la grotte de Massabielle, la Vierge Immaculée nous parle à nous aussi, chrétiens du troisième millénaire. Mettons-nous à son écoute !
Écoutez d’abord, vous les jeunes, vous qui cherchez une réponse capable de donner sens à votre vie. Vous pouvez la trouver ici. C’est une réponse exigeante, mais c’est la seule réponse qui vaut. En elle, réside le secret de la vraie joie et de la paix.
De cette grotte, je vous lance un appel spécial à vous, les femmes. En apparaissant dans la grotte, Marie a confié son message à une fille, comme pour souligner la mission particulière qui revient à la femme, à notre époque tentée par le matérialisme et par la sécularisation: être dans la société actuelle témoin des valeurs essentielles qui ne peuvent se percevoir qu’avec les yeux du coeur. A vous, les femmes, il revient d’être sentinelles de l’Invisible ! A vous tous, frères et soeurs, je lance un appel pressant pour que vous fassiez tout ce qui est en votre pouvoir pour que la vie, toute vie, soit respectée depuis la conception jusqu’à son terme naturel. La vie est un don sacré, dont nul ne peut se faire le maître.

La Vierge de Lourdes a enfin un message pour tous: le voici: soyez des femmes et des hommes libres ! Mais rappelez-vous: la liberté humaine est une liberté marquée par le péché. Elle a besoin elle aussi d’être libérée. Christ en est le libérateur, Lui qui «nous a libérés pour que nous soyons vraiment libres» (Ga 5, 1). Défendez votre liberté !
Chers Amis, pour cela nous savons que nous pouvons compter sur Celle qui, n’ayant jamais cédé au péché, est la seule créature parfaitement libre. C’est à elle que je vous confie. Marchez avec Marie sur les chemins de la pleine réalisation de votre humanité !

Laborem exercens [9]

Vendredi 27 juin 2008

9. Travail et dignité de la personne

En demeurant encore dans la perspective de l’homme comme sujet du travail, il convient que nous abordions, au moins de façon synthétique, quelques problèmes qui définissent de plus près la dignité du travail humain, car ils permettent de caractériser plus pleinement sa valeur morale spécifique. Il faut le faire en ayant toujours sous les yeux l’appel biblique de «soumettre la terre» 14, par lequel s’est exprimée la volonté du Créateur, afin que le travail permette à l’homme d’atteindre cette «domination» qui lui est propre dans le monde visible.

L’intention fondamentale et primordiale de Dieu par rapport à l’homme qu’«il créa … à sa ressemblance, à son image» 15, n’a pas été rétractée ni effacée, même pas lorsque l’homme, après avoir rompu l’alliance originelle avec Dieu, entendit les paroles: «A la sueur de ton front tu mangeras ton pain» 16. Ces paroles se réfèrent à la fatigue parfois pesante qui depuis lors accompagne le travail humain; elles ne changent pas pour autant le fait que celui-ci est la voie conduisant l’homme à réaliser la «domination» qui lui est propre sur le monde visible en «soumettant» la terre. Cette fatigue est un fait universellement connu, parce qu’universellement expérimenté. Ils le savent bien, ceux qui accomplissent un travail physique dans des conditions parfois exceptionnellement pénibles. Ils le savent bien les agriculteurs qui, en de longues journées, s’usent à cultiver une terre qui, parfois, «produit des ronces et des épines» 17, et aussi les mineurs dans les mines ou les carrières de pierre, les travailleurs de la sidérurgie auprès des hautsfourneaux, les hommes qui travaillent dans les chantiers de construction et dans le secteur du bâtiment, alors qu’ils risquent fréquemment leur vie ou l’invalidité. Ils le savent bien également, les hommes attachés au chantier du travail intellectuel, ils le savent bien les hommes de science, ils le savent bien, les hommes qui ont sur leurs épaules la grave responsabilité de décisions destinées à avoir une vaste résonance sur le plan social. Ils le savent bien les médecins et les infirmiers, qui veillent jour et nuit auprès des malades. Elles le savent bien les femmes qui, sans que parfois la société et leurs proches eux-mêmes le reconnaissent de façon suffisante, portent chaque jour la fatigue et la responsabilité de leur maison et de l’éducation de leurs enfants. Oui, ils le savent bien, tous les travailleurs et, puisque le travail est vraiment une vocation universelle, on peut même dire: tous les hommes.

Et pourtant, avec toute cette fatigue _ et peut-être, en un certain sens, à cause d’elle _ le travail est un bien de l’homme. Si ce bien porte la marque d’un bonum arduum, d’un «bien ardu», selon la terminologie de saint Thomas 18, cela n’empêche pas que, comme tel, il est un bien de l’homme. Il n’est pas seulement un bien «utile» ou dont on peut «jouir», mais il est un bien «digne», c’est-à-dire qu’il correspond à la dignité de l’homme, un bien qui exprime cette dignité et qui l’accroît. En voulant mieux préciser le sens éthique du travail, il faut avant tout prendre en considération cette vérite. Le travail est un bien de l’homme _ il est un bien de son humanité _ car, par le travail, non seulement l’homme transforme la nature en l’adaptant à ses propres besoins, mais encore il se réalise lui-même comme homme et même, en un certain sens, «il devient plus homme».

Sans cette considération, on ne peut comprendre le sens de la vertu de l’ardeur au travail, plus précisément on ne peut comprendre pourquoi l’ardeur au travail devrait être une vertu; en effet la vertu, comme disposition morale, est ce qui permet à l’homme de devenir bon en tant qu’homme 19. Ce fait ne change en rien notre préoccupation d’éviter que dans le travail l’homme lui-même ne subisse une diminution de sa propre dignité, alors qu’il permet à la matière d’être ennoblie 20. On sait aussi que, de bien des façons, il est possible de se servir du travail contre l’homme, qu’on peut punir l’homme par le système du travail forcé dans les camps de concentration, qu’on peut faire du travail un moyen d’oppression de l’homme, qu’enfin on peut, de différentes façons, exploiter le travail humain, c’est-à-dire le travailleur. Tout ceci plaide pour l’obligation morale d’unir l’ardeur au travail comme vertu à un ordre social du travail, qui permette à l’homme de «devenir plus homme» dans le travail, et lui évite de s’y dégrader en usant ses forces physiques (ce qui est inévitable, au moins jusqu’à un certain point), et surtout en entamant la dignité et la subjectivité qui lui sont propres.

Laborem exercens [8]

Mercredi 25 juin 2008

8. Solidarité des travailleurs

 

S’il s’agit du travail humain, envisagé dans la dimension fondamentale de celui qui en est le sujet, c’est-à-dire de l’homme en tant que personne exécutant ce travail, on doit de ce point de vue faire au moins une estimation sommaire des développements qui sont intervenus, au cours des quatre-vingt-dix ans écoulés depuis l’encyclique Rerum novarum, quant à la dimension subjective du travail. En effet, si le sujet du travail est toujours le même, à savoir l’homme, des modifications notables se produisent dans l’aspect obiectif du travail. Bien que l’on puisse dire que le travail, en raison de son sujet, est un (un et tel qu’on n’en trouve jamais d’exactement semblable), un examen de ses conditions objectives amène à constater qu’il existe beaucoup de travaux, un très grand nombre de travaux divers. Le développement de la civilisation humaine apporte en ce domaine en enrichissement continuel. En même temps, cependant, on ne peut s’empêcher de noter que, dans le processus de ce développement, on voit apparaître de nouvelles formes de travail, tandis que d’autres disparaissent. En admettant qu’en principe il s’agisse là d’un phénomène normal, il y a lieu cependant de bien voir si en lui ne se glissent pas, plus ou moins profondément, certaines irrégularités qui peuvent être dangereuses pour des motifs d’éthique sociale.

C’est précisément en raison d’une telle anomalie aux répercussions importantes qu’est née, au siècle dernier, ce qu’on a appelé la question ouvrière, définie parfois comme «question du prolétariat». Cette question _ comme les problèmes qui lui sont connexes _ a suscité une juste réaction sociale; elle a fait surgir, on pourrait même dire jaillir, un grand élan de solidarité entre les travailleurs et, avant tout, entre les travailleurs de l’industrie. L’appel à la solidarité et à l’action commune, lancé aux hommes du travail, avait sa valeur, une valeur importante, et sa force persuasive, du point de vue de l’éthique sociale, surtout lorsqu’il s’agissait du travail sectoriel, monotone, dépersonnalisant dans les complexes industriels, quand la machine avait tendance à dominer sur l’homme.

C’était la réaction contre la dégradation de l’homme comme sujet du travail et contre l’exploitation inouie qui l’accompagnait dans le domaine des profits, des conditions de travail et de prévoyance en faveur de la personne du travailleur. Une telle réaction a uni le monde ouvrier en un ensemble communautaire caractérisé par une grande solidarité.

Dans le sillage de l’encyclique Rerum novarum et des nombreux documents du Magistère de l’Eglise qui ont suivi, il faut franchement reconnaître que se justifiait, du point de vue de la morale sociale, la réaction contre le système d’injustice et de préjudices qui criait vengeance vers le Ciel 13 et qui pesait sur le travailleur dans cette période de rapide industrialisation. Cet état de choses était favorisé par le système socio-politique libéral qui, selon ses principes économiques, renforçait et assurait l’initiative économique des seuls possesseurs de capitaux, mais ne se préoccupait pas suffisamment des droits du travailleur, en affirmant que le travail humain est seulement un instrument de production, et que le capital est le fondement, le facteur et le but de la production.

Depuis lors, la solidarité des travailleurs, en même temps que, chez les autres, une prise de conscience plus nette et plus engagée concernant les droits des travailleurs, ont produit en beaucoup de cas des changements profonds. On a imaginé divers systèmes nouveaux. Diverses formes de néo-capitalisme ou de collectivisme se sont développées. Il n’est pas rare que les travailleurs puissent participer, et qu’ils participent effectivement, à la gestion et au contrôle de la productivité des entreprises. Au moyen d’associations appropriées, ils ont une influence sur les conditions de travail et de rémunération, comme aussi sur la législation sociale. Mais en même temps, divers systèmes fondés sur l’idéologie ou sur le pouvoir, comme aussi de nouveaux rapports apparus aux différents niveaux de la vie sociale, ont laissé persister des injustices flagrantes ou en ont créé de nouvelles. Au plan mondial, le développement de la civilisation et des communications a rendu possible un diagnostic plus complet des conditions de vie et de travail de l’homme dans le monde entier, mais il a aussi mis en lumière d’autres formes d’injustice bien plus étendues que celles qui, au siècle passé, ont suscité l’union des travailleurs en vue d’une solidarité particulière dans le monde ouvrier. Il en est ainsi dans les pays qui ont déjà accompli un certain processus de révolution industrielle; il en est également ainsi dans les pays où le premier chantier de travail continue à être la culture de la terre ou d’autres occupations du même type.

Des mouvements de solidarité dans le domaine du travail _ d’une solidarité qui ne doit jamais être fermeture au dialogue et à la collaboration avec les autres _ peuvent être nécessaires, même par rapport aux conditions de groupes sociaux qui auparavant n’étaient pas compris parmi ces mouvements, mais qui subissent, dans les mutations des systèmes sociaux et des conditions de vie, une «prolétarisation» effective ou même se trouvent déjà en réalité dans une situation de «prolétariat» qui, même si on ne la connaît pas encore sous ce nom, est telle qu’en fait elle le mérite. Dans cette situation peuvent se trouver plusieurs catégories ou groupes de l’«intelligentsia» du travail, spécialement lorsque l’accès toujours plus large à l’instruction, le nombre toujours croissant des personnes ayant obtenu des diplômes par leur préparation culturelle, vont de pair avec une diminution de demandes de leur travail. Un tel chômage des intellectuels arrive ou augmente lorsque l’instruction accessible n’est pas orientée vers les types d’emplois ou de services que requièrent les vrais besoins de la société, ou quand le travail pour lequel on exige l’instruction, au moins professionnelle, est moins recherché ou moins bien payé qu’un travail manuel. Il est évident que l’instruction, en soi, constitue toujours une valeur et un enrichissement important de la personne humaine; néanmoins, certains processus de «prolétarisation» restent possibles indépendamment de ce fait.

Aussi faut-il continuer à s’interroger sur le sujet du travail et sur les conditions dans lesquelles il vit. Pour réaliser la justice sociale dans les différentes parties du monde, dans les divers pays, et dans les rapports entre eux, il faut toujours qu’il y ait de nouveaux mouvements de solidarité des travailleurs et de solidarité avec les travailleurs. Une telle solidarité doit toujours exister là où l’exigent la dégradation sociale du sujet du travail, l’exploitation des travailleurs et les zones croissantes de misère et même de faim. L’Eglise est vivement engagée dans cette cause, car elle la considère comme sa mission, son service, comme un test de sa fidélité au Christ, de manière à être vraiment l’«Eglise des pauvres». Et les «pauvres» apparaissent sous bien des aspects; ils apparaissent en des lieux divers et à différents moments; ils apparaissent en de nombreux cas comme un résultat de la violation de la dignité du travail humain: soit parce que les possibilités du travail humain sont limitées _ c’est la plaie du chômage _, soit parce qu’on mésestime la valeur du travail et les droits qui en proviennent, spécialement le droit au juste salaire, à la sécurité de la personne du travailleur et de sa famille.

Laborem exercens [7]

Mardi 24 juin 2008

7. Une menaçe contre la véritable hiérarchie des valeurs.

Ces affirmations essentielles sur le travail ont toujours résulté des richesses de la vérité chrétienne, spécialement du message même de l’«évangile du travail», et elles ont créé le fondement de la nouvelle façon de penser, de juger et d’agir des hommes. A l’époque moderne, dès le début de l’ère industrielle, la vérité chrétienne sur le travail devait s’opposer aux divers courants de la pensée matérialiste et «économiste».

Pour certains partisans de ces idées, le travail était compris et traité comme une espèce de «marchandise» que le travailleur _ et spécialement l’ouvrier de l’industrie _ vend à l’employeur, lequel est en même temps le possesseur du capital, c’est-à-dire de l’ensemble des instruments de travail et des moyens qui rendent possible la production. Cette façon de concevoir le travail s’est répandue plus spécialement, peut-être, dans la première moitié du XIXe siècle. Par la suite, les formulations explicites de ce genre ont presque complètement disparu, laissant la place à une façon plus humaine de penser et d’évaluer le travail. L’interaction du travailleur et de l’ensemble des instruments et des moyens de production a donné lieu au développement de diverses formes de capitalisme _ parallèlement à diverses formes de collectivisme _ dans lesquelles se sont insérés d’autres éléments socio-économiques à la suite de nouvelles circonstances concrètes, de l’action des associations de travailleurs et des pouvoirs publics, de l’apparition de grandes entreprises transnationales. Malgré cela, le danger de traiter le travail comme une «marchandise sui generis», ou comme une «force» anonyme nécessaire à la production (on parle même de «force-travail»), existe toujours, lorsque la manière d’aborder les problèmes économiques est caractérisée par les principes de l’«économisme» matérialiste.

Ce qui, pour cette façon de penser et de juger, constitue une occasion systématique et même, en un certain sens, un stimulant, c’est le processus accéléré de développement de la civilisation unilatéralement matérialiste, dans laquelle on donne avant tout de l’importance à la dimension objective du travail, tandis que la dimension subjective _ tout ce qui est en rapport indirect ou direct avec le sujet même du travail _ reste sur un plan secondaire. Dans tous les cas de ce genre, dans chaque situation sociale de ce type, survient une confusion, ou même une inversion de l’ordre établi depuis le commencement par les paroles du Livre de la Genèse: l’homme est alors traité comme un instrument de production 12 alors que lui _ lui seul, quel que soit le travail qu’il accomplit _ devrait être traité comme son sujet efficient, son véritable artisan et son créateur. C’est précisément cette inversion d’ordre, abstraction faite du programme et de la dénomination sous les auspices desquels elle se produit, qui mériterait _ au sens indiqué plus amplement ci-dessous _ le nom de «capitalisme». On sait que le capitalisme a sa signification historique bien définie en tant que système, et système économico-social qui s’oppose au «socialisme» ou «communisme». Mais si l’on prend en compte l’analyse de la réalité fondamentale de tout le processus économique et, avant tout, des structures de production _ ce qu’est, justement, le travail _, il convient de reconnaître que l’erreur du capitalisme primitif peut se répéter partout où l’homme est en quelque sorte traité de la même façon que l’ensemble des moyens matériels de production, comme un instrument et non selon la vraie dignité de son travail, c’est-à-dire comme sujet et auteur, et par là même comme véritable but de tout le Processus de production.

Cela étant, on comprend que l’analyse du travail humain faite à la lumière de ces paroles, qui concernent la «domination» de l’homme sur la terre, s’insère au centre même de la problématique éthico-sociale. Cette conception devrait même trouver une place centrale dans toute la sphère de la politique sociale et économique, à l’échelle des divers pays comme à celle, plus vaste, des rapports internationaux et intercontinentaux, avec une référence particulière aux tensions qui se font sentir dans le monde non seulement sur l’axe Orient-Occident mais aussi sur l’axe Nord-Sud. Le Pape Jean XXIII dans son encyclique Mater et magistra, puis le Pape Paul VI dans l’encyclique Populorum progressio, ont porté une grande attention à ces dimensions des problèmes éthiques et sociaux contemporains.

 

 

Laborem exercens [6]

Lundi 23 juin 2008

6. Le travail au sens subjectif: l’homme, sujet du travail

Pour continuer notre analyse du travail liée à la parole de la Bible selon laquelle l’homme doit soumettre la terre, il nous faut maintenant concentrer notre attention sur le travail au sens subjectif, beaucoup plus que nous ne l’avons fait en nous référant au sens objectif du travail: nous avons tout juste effleuré ce vaste problème qui est parfaitement connu, et dans tous ses détails, des spécialistes des divers secteurs et aussi des hommes mêmes du monde du travail, chacun dans son domaine. Si les paroles du Livre de la Genèse auxquelles nous nous référons dans cette analyse parlent de façon indirecte du travail au sens objectif, c’est de la même façon qu’elles parlent aussi du sujet du travail; mais ce qu’elles disent est fort éloquent et rempli d’une grande signification.

L’homme doit soumettre la terre, il doit la dominer, parce que comme «image de Dieu» il est une personne, c’est-à-dire un sujet, un sujet capable d’agir d’une manière programmée et rationnelle, capable de décider de lui-même et tendant à se réaliser lui-même. C’est en tant que personne que l’homme est sujet du travail. C’est en tant que personne qu’il travaille, qu’il accomplit diverses actions appartenant au processus du travail; et ces actions, indépendamment de leur contenu objectif, doivent toutes servir à la réalisation de son humanité, à l’accomplissement de la vocation qui lui est propre en raison de son humanité même: celle d’être une personne. Les principales vérités sur ce thème ont été rappelées dernièrement par le Concile Vatican II dans la constitution Gaudium et spes, en particulier par le chapitre I consacré à la vocation de l’homme.

Ainsi la «domination» dont parle le texte biblique que nous méditons ici ne se réfère pas seulement à la dimension objective du travail: elle nous introduit en même temps à la compréhension de sa dimension subjective. Le travail entendu comme processus par lequel l’homme et le genre humain soumettent la terre ne correspond à ce concept fondamental de la Bible que lorsque, dans tout ce processus, l’homme se manifeste en même temps et se confirme comme celui qui «domine». Cette domination, en un certain sens, se réfère à la dimension subjective plus encore qu’à la dimension objective: cette dimension conditionne la nature éthique du travail. Il n’y a en effet aucun doute que le travail humain a une valeur éthique qui, sans moyen terme, reste directement liée au fait que celui qui l’exécute est une personne, un sujet conscient et libre, c’est-à-dire un sujet qui décide de lui-même.

Cette vérité, qui constitue en un certain sens le noyau central et permanent de la doctrine chrétienne sur le travail humain, a eu et continue d’avoir une signification fondamentale pour la formulation des importants problèmes sociaux au cours d’époques entières.

L’âge antique a introduit parmi les hommes une différenciation typique par groupes selon le genre de travail qu’ils faisaient. Le travail qui exigeait du travailleur l’emploi des forces physiques, le travail des muscles et des mains, était considéré comme indigne des hommes libres, et on y destinait donc les esclaves. Le christianisme, élargissant certains aspects déjà propres à l’Ancien Testament, a accompli ici une transformation fondamentale des concepts, en partant de l’ensemble du message évangélique et surtout du fait que Celui qui, étant Dieu, est devenu en tout semblable à nous , a consacré la plus grande partie de sa vie sur terre au travail manuel, à son établi de charpentier. Cette circonstance constitue par elle-même le plus éloquent «évangile du travail». Il en résulte que le fondement permettant de déterminer la valeur du travail humain n’est pas avant tout le genre de travail que l’on accomplit mais le fait que celui qui l’exécute est une personne. Les sources de la dignité du travail doivent être cherchées surtout, non pas dans sa dimension objective mais dans sa dimension subjective.

Avec une telle conception disparaît pratiquement le fondement même de l’ancienne distinction des hommes en groupes déterminés par le genre de travail qu’ils exécutent. Cela ne veut pas dire que le travail humain ne puisse et ne doive en aucune façon être valorisé et qualifié d’un point de vue objectif. Cela veut dire seulement que le premier fondement de la valeur du travail est l’homme lui-même, son sujet. Ici vient tout de suite une conclusion très importante de nature éthique: bien qu’il soit vrai que l’homme est destiné et est appelé au travail, le travail est avant tout «pour l’homme» et non l’homme «pour le travail». Par cette conclusion, on arrive fort justement à reconnaître la prééminence de la signification subjective du travail par rapport à sa signification objective. En partant de cette façon de comprendre les choses et en supposant que différents travaux accomplis par les hommes puissent avoir une plus ou moins grande valeur objective, nous cherchons toutefois à mettre en évidence le fait que chacun d’eux doit être estimé surtout à la mesure de la dignité du sujet même du travail, c’est-à-dire de la personne, de l’homme qui l’exécute. D’un autre côté, indépendamment du travail que tout homme accomplit, et en supposant qu’il constitue un but _ parfois fort absorbant _ de son activité, ce but ne possède pas par lui-même une signification définitive. En fin de compte, le but du travail, de tout travail exécuté par l’homme _ fût-ce le plus humble service, le travail le plus monotone selon l’échelle commune d’évaluation, voire le plus marginalisant _ reste toujours l’homme lui-même.

Laborem exercens [5]

Vendredi 20 juin 2008

5. Le travail au sens objectif: la technique

Ce caractère universel et multiple du processus par lequel l’homme «soumet la terre» éclaire bien le travail de l’homme, puisque la domination de l’homme sur la terre se réalise dans le travail et par le travail. Ainsi apparaît la signification du travail au sens objectif, qui trouve son expression selon les diverses époques de la culture et de la civilisation. L’homme domine la terre déjà par le fait qu’il domestique les animaux, les élevant et tirant d’eux sa nourriture et les vêtements nécessaires, et par le fait qu’il peut extraire de la terre et de la mer diverses ressources naturelles. Mais l’homme domine bien plus la terre lorsqu’il commence à la cultiver, puis lorsqu’il transforme ses produits pour les adapter à ses besoins. L’agriculture constitue ainsi un secteur primaire de l’activité économique; elle est, grâce au travail de l’homme, un facteur indispensable de la production. L’industrie à son tour consistera toujours à combiner les richesses de la terre _ ressources brutes de la nature, produits de l’agriculture, ressources minières ou chimiques _ et le travail de l’homme, son travail physique comme son travail intellectuel. Cela vaut aussi en un certain sens dans le secteur de ce que l’on appelle l’industrie de service, et dans celui de la recherche, pure ou appliquée.

Aujourd’hui, dans l’industrie et dans l’agriculture, l’activité de l’homme a cessé dans de nombreux cas d’être un travail surtout manuel parce que la fatigue des mains et des muscles est soulagée par l’emploi de machines et de mécanismes toujours plus perfectionnés. Dans l’industrie mais aussi dans l’agriculture, nous sommes témoins des transformations rendues possibles par le développement graduel et continuel de la science et de la technique. Et cela, dans son ensemble, est devenu historiquement une cause de tournants importants dans la civilisation, depuis le début de «l’ère industrielle» jusqu’aux phases suivantes de développement grâce à de nouvelles techniques comme l’électronique ou, ces dernières années, les microprocesseurs.

Il peut sembler que dans le processus industriel c’est la machine qui «travaille» tandis que l’homme se contente de la surveiller, rendant possible son fonctionnement et le soutenant de diverses façons; mais il est vrai aussi que, précisément à cause de cela, le développement industriel établit un point de départ pour reposer d’une manière nouvelle le problème du travail humain. La première industrialisation qui a créé la question dite ouvrière comme les changements industriels et post-industriels intervenus par la suite démontrent clairement que, même à l’époque du «travail» toujours plus mécanisé, le sujet propre du travail reste l’homme.

Le développement de l’industrie et des divers secteurs connexes, jusqu’aux technologies les plus modernes de l’électronique, spécialement dans le domaine de la miniaturisation, de l’informatique, de la télématique, etc., montre le rôle immense qu’assume justement, dans l’interaction du sujet et de l’objet du travail (au sens le plus large du mot), cette alliée du travail, engendrée par la pensée de l’homme, qu’est la technique.

Entendue dans ce cas, non comme une capacité ou une aptitude au travail, mais comme un ensemble d’instruments dont l’homme se sert dans son travail, la technique est indubitablement une alliée de l’homme. Elle lui facilite le travail, le perfectionne, l’accélère et le multiplie. Elle favorise l’augmentation de la quantité des produits du travail, et elle perfectionne également la qualité de beaucoup d’entre eux. C’est un fait, par ailleurs, qu’en certains cas, cette alliée qu’est la technique peut aussi se transformer en quasi adversaire de l’homme, par exemple lorsque la mécanisation du travail «supplante» l’homme en lui ôtant toute satisfaction personnelle, et toute incitation à la créativité et à la responsabilité, lorsqu’elle supprime l’emploi de nombreux travailleurs ou lorsque, par l’exaltation de la machine, elle réduit l’homme à en être l’esclave.

Si l’expression biblique «soumettez la terre», adressée à l’homme dès le commencement, est comprise dans le contexte de toute notre époque moderne, industrielle et post-industrielle, elle contient indubitablement aussi un rapport avec la technique, avec le monde de la mécanisation et de la machine, rapport qui est le fruit du travail de l’intelligence humaine et qui confirme historiquement la domination de l’homme sur la nature.

L’époque récente de l’histoire de l’humanité, et spécialement de certaines sociétés, porte en soi une juste affirmation de la technique comme élément fondamental de progrès économique; mais, en même temps, de cette affirmation ont surgi et surgissent encore continuellement les questions essentielles concernant le travail humain dans ses rapports avec son sujet qui est justement l’homme. Ces questions contiennent un ensemble particulier d’éléments et de tensions de caractère éthique et même éthico-social. Et c’est pourquoi elles constituent un défi continuel pour de multiples institutions, pour les Etats et les gouvernements, pour les systèmes et les organisations internationales; elles constituent également un défi pour l’Eglise.

Laborem exercens [4]

Mardi 17 juin 2008

II. LE TRAVAIL ET L’HOMME

4. Au Livre de la Genèse

L’Eglise est convaincue que le travail constitue une dimension fondamentale de l’existence de l’homme sur la terre. Elle est confirmée dans cette conviction par la prise en compte de l’ensemble du patrimoine des multiples sciences consacrées à l’homme: l’anthropologie, la paléontologie, l’histoire, la sociologie, la psychologie, etc.; toutes semblent témoigner de cette réalité de façon irréfutable. Toutefois, l’Eglise tire cette conviction avant tout de la source qu’est la parole de Dieu révélée, et c’est pourquoi ce qui est une conviction de l’intelligence acquiert aussi le caractère d’une conviction de foi. La raison en est que l’Eglise _ il vaut la peine de le noter dès maintenant _ croit en l’homme: elle pense à l’homme et s’adresse à lui, non seulement à la lumière de l’expérience historique ou avec l’aide des multiples méthodes de la connaissance scientifique, mais encore et surtout à la lumière de la parole révélée du Dieu vivant. Se référant à l’homme, elle cherche à exprimer les desseins éternels et les destins transcendants que le Dieu vivant, Créateur et Rédempteur, a liés à l’homme. L’Eglise trouve dès les premières pages du Livre de la Genèse la source de sa conviction que le travail constitue une dimension fondamentale de l’existence humaine sur la terre. L’analyse de ces textes nous rend conscients de ce que en eux _ parfois sous un mode archaïque de manifester la pensée _ ont été exprimées les vérités fondamentales sur l’homme, et cela déjà dans le contexte du mystère de la création. Ces vérités sont celles qui décident de l’homme depuis le commencement et qui, en même temps, tracent les grandes lignes de son existence terrestre, aussi bien dans l’état de justice originelle qu’après la rupture, déterminée par le péché, de l’alliance originelle du Créateur avec la création dans l’homme. Lorsque celui-ci, fait «à l’image de Dieu …, homme et femme» , entend ces mots: «Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la» , même si ces paroles ne se réfèrent pas directement et explicitement au travail, elles y font sans aucun doute allusion indirectement, comme une activité à exercer dans le monde. Bien plus, elles en démontrent l’essence la plus profonde. L’homme est l’image de Dieu notamment par le mandat qu’il a reçu de son Créateur de soumettre, de dominer la terre. En accomplissant ce mandat, l’homme, tout être humain, reflète l’action même du Créateur de l’univers.

Le travail, entendu comme une activité «transitive» _ c’est-à-dire que, prenant sa source dans le sujet humain, il est tourné vers un objet externe _, suppose une domination spécifique de l’homme sur la «terre», et à son tour il confirme et développe cette domination. Il est clair que sous le nom de «terre» dont parle le texte biblique, il faut entendre avant tout la portion de l’univers visible dans laquelle l’homme habite; mais par extension on peut l’entendre de tout le monde visible en tant que se trouvant à la portée de l’influence de l’homme, notamment lorsque ce dernier cherche à répondre à ses propres besoins. L’expression «dominez la terre» a une portée immense. Elle indique toutes les ressources que la terre (et indirectement le monde visible) cache en soi et qui, par l’activité consciente de l’homme, peuvent être découvertes et utilisées à sa convenance. Ainsi ces mots, placés au début de la Bible, ne cessent jamais d’être actuels. Ils s’appliquent aussi bien à toutes les époques passées de la civilisation et de l’économie qu’à toute la réalité contemporaine et aux phases futures du développement qui se dessinent déjà peut-être dans une certaine mesure, mais qui pour une grande part restent encore pour l’homme quasiment inconnues et cachées.

Si parfois on parle de périodes «d’accélération» dans la vie économique et dans la civilisation de l’humanité ou des diverses nations, en rapprochant ces «accélérations» des progrès de la science et de la technique et spécialement des découvertes décisives pour la vie socio-économique, on peut dire en même temps qu’aucune de ces «accélérations» ne dépasse le contenu essentiel de ce qui a été dit dans ce très antique texte biblique. En devenant toujours plus maître de la terre grâce à son travail et en affermissant, par le travail également, sa domination sur le monde visible, l’homme reste, dans chaque cas et à chaque phase de ce processus, dans la ligne du plan originel du Créateur; et ce plan est nécessairement et indissolublement lié au fait que l’être humain a été créé, en qualité d’homme et de femme, «à l’image de Dieu». Ce processus est également universel: il concerne tous les hommes, chaque génération, chaque phase du développement économique et culturel, et en même temps c’est un processus qui se réalise en chaque homme, en chaque être humain conscient. Tous et chacun sont en même temps concernés par lui. Tous et chacun, dans une mesure appropriée et avec un nombre incalculable de modalités, prennent part à ce gigantesque processus par lequel l’homme «soumet la terre» au moyen de son travail.

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